Avoir du plomb dans l’eau et du plomb dans l’aile

Chez l’enfant, l’exposition au plomb, même à faibles doses, peut engendrer des conséquences sur le fonctionnement du cerveau, telles qu’une diminution du quotient intellectuel ou des capacités attentionnelles.

Par Kevin Bastien,
12/2021

À l’automne 2019, le plomb faisait la manchette. Nous apprenions qu’environ 300 000 des résidences montréalaises avaient une entrée d’eau en plomb qui les exposerait à des concentrations de plomb dépassant potentiellement les normes canadiennes (5 µg/L d’eau) [1].

De plus, selon un rapport de la Direction régionale de Santé Publique de Montréal ainsi qu’une enquête menée par La Presse, l’eau de plusieurs écoles et garderies du Québec présenterait des niveaux de plomb trop élevés [2] [3]. La ville de Montréal a d’ailleurs annoncé un grand chantier de plusieurs centaines de millions de dollars visant le remplacement de l’ensemble des conduites d’eau en plomb. Les écoles québécoises devront également se conformer et remplacer toutes les installations qui contribuent à contaminer l’eau de leur établissement.

À Montréal, les résidences susceptibles d’avoir une entrée d’eau en plomb sont les immeubles construits avant 1970 et comprenant huit logements et moins.

5 microgrammes par litre d’eau. Équivalent à 5 particules par milliard ou environ 5 cuillères à thé dans une piscine olympique ! Au Québec, la norme actuelle est de 10 µg/L d’eau, mais devrait changer sous peu.

Alors que la concentration de plomb dans la circulation sanguine des Canadien.ne.s a diminué de plus de 70 % depuis les 30 dernières années, que justifie cette inquiétude?

Selon Santé Canada [4], un nombre croissant d’études indiquent que même les plus faibles doses de plomb qu’il est possible de mesurer dans le sang sont associées à des conséquences néfastes sur la santé. Parmi celles-ci, on recense notamment des effets sur le développement du système nerveux central.

Conséquences sur le fonctionnement cérébral

Le quotient intellectuel (QI) est la mesure la plus souvent utilisée afin d’évaluer l’association entre l’exposition au plomb et les conséquences sur le fonctionnement du cerveau. Lanphear et ses collaborateurs (2005) [5] ont analysé les résultats de sept études épidémiologiques de différents pays (États-Unis, Mexique, Australie et Yougoslavie) portant sur le lien entre le QI et l’exposition au plomb chez les enfants. Les concentrations sanguines de plomb en microgrammes de 1 333 enfants ont été mesurées plusieurs fois entre leur naissance et le moment de la passation du test d’intelligence.

Les chercheur.e.s ont trouvé que plus le niveau de plomb était élevé, plus la performance au test était faible (voir figure 1). Ces données importantes montrent que dès les premiers microgrammes d’exposition, il semble y avoir une diminution du QI.

Des études rapportent que ce déficit pourrait persister plusieurs années [6] [7]. En effet, l’exposition au plomb durant l’enfance a été associée à un QI moins élevé, à un moins bon revenu et à moins d’années d’éducation lorsque ces mêmes enfants ont été recontactés à l’âge de 38 ans [7]. Il semble également exister un consensus scientifique soutenant une association entre l’exposition à une faible dose de plomb et la diminution des capacités attentionnelles chez les enfants.

Par exemple, une étude publiée en 2006 et comptabilisant les données de 4 704 enfants âgés de 4 à 15 ans révèle que le nombre d’enfants avec un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) était 4 fois plus élevé chez les enfants les plus exposés au plomb (voir figure 2) [8]. Le département de santé des États-Unis a d’ailleurs statué en 2012 qu’il y avait assez de preuves pour soutenir que le plomb, même à des niveaux inférieurs que ceux recommandés par Santé Canada, peut augmenter le nombre de nouveaux problèmes d’attention dépistés chez les enfants chaque année [9].

En plus des fonctions intellectuelles, quelques études ont rapporté que l’exposition chronique au plomb lors du développement semble être associée à des problèmes de comportements et de l’humeur chez les jeunes. En effet, une étude portant sur la quantité de plomb contenue dans les os d’enfants âgés de 9 à 14 ans a montré une différence significative entre les comportements des enfants plus exposés et ceux moins exposés au plomb [10].

L’équipe de recherche a noté plus de comportements délinquants et agressifs et plus de symptômes anxieux ou dépressifs chez les jeunes les plus exposés. Dans le même sens, une autre étude a trouvé une association entre l’exposition pendant la grossesse et à l’enfance (6 ans) au plomb et la fréquence de comportements délinquants à l’âge de 16 ans [11].

Comme le plomb s’accumule dans les os du corps, la quantité de plomb dans les tibias est une excellente mesure du niveau d’exposition chronique au plomb.

Consultez l’article permettant d’en apprendre davantage sur les retombées de plomb après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame en 2019.

EN RÉSUMÉ

Selon les connaissances actuelles, même une dose minime de plomb peut avoir un effet sur la santé et aucun seuil sécuritaire n’a pu être établi. Parmi les effets potentiels d’une faible dose de plomb, les conséquences sur le développement neurologique des enfants sont les mieux documentées.

Il est maintenant bien établi qu’une plombémie, même inférieure à 5 ug/dL, peut entraîner une baisse du quotient intellectuel et des capacités attentionnelles des enfants lorsqu’ils sont exposés durant leur développement. Il existe également des preuves selon lesquelles les effets sur les capacités intellectuelles et sur le comportement peuvent persister au moins jusqu’à la fin de l’adolescence.

Les fœtus, les nourrissons et les enfants en développement sont donc plus susceptibles que les adultes de subir des effets néfastes d’une faible exposition au plomb. Il faut également préciser que les impacts d’une faible plombémie sont modestes, n’entraînant généralement qu’une légère diminution des scores aux tests utilisés. Toutefois, ces effets doivent être pris au sérieux puisqu’ils peuvent être persistants et avoir des conséquences, entre autres, sur le statut socio-économique à l’âge adulte.

À la question « est-ce que du plomb dans l’eau signifie avoir du plomb dans l’aile », la réponse est clairement oui pour les individus dont le cerveau est en développement. Par contre, celle-ci est plus équivoque pour les personnes adultes.

À ce sujet, nous vous invitons à lire l’article intitulé « Exposition au plomb au travail et le vieillissement » pour en savoir plus sur les effets du plomb à l’âge adulte.

NOS CONSEILS

* Les parents d’enfants de moins de 6 ans et les femmes enceintes devraient faire particulièrement attention et appliquer plus rigoureusement ces recommandations. 

Les immeubles de 8 logements ou moins construits avant 1970 sont plus fréquemment construits avec une entrée de service en plomb.

Visionner la capsule vidéo – Comment reconnaître une entrée de service en plomb ou prenez connaissance de ces informations.

Dans le doute, informez-vous auprès de votre municipalité.

Par exemple, les résident.e.s de Montréal peuvent consulter la carte interactive qui présente les secteurs susceptibles d’avoir une entrée de service en plomb.

Pour en connaître plus sur le Plan d’action de Montréal qui désire retirer toutes les entrées de service d’eau en plomb d’ici 2032.

Ils peuvent également effectuer une demande de vérification auprès de la ville en remplissant le formulaire suivant.

Par exemple, la Direction régionale de santé publique de Montréal a mis à votre disposition une page d’information.

Il vous est également possible de prendre connaissance de la fiche d’information sur la prévention de l’exposition au plomb du Gouvernement du Québec.

Si vous êtes intéressé.e.s à tester la concentration de plomb dans votre eau, le Gouvernement du Québec recommande de faire appel à des laboratoires spécialisés. Vous trouverez la liste de ces laboratoires ici.

Il est important de s’assurer que votre choix est spécifiquement accrédité́ pour l’analyse du plomb dans l’eau potable.

Remplacer les entrées d’eau en plomb est la solution la plus efficace.

Si cela n’est pas possible, voici quelques actions que vous pouvez entreprendre:

  • Avoir un dispositif de filtration respectant les normes NSF/ANSI no 53 (ex : pichet filtrant, filtre au robinet ou sous l’évier) ;
  • Faire couler l’eau du robinet quelques minutes lorsqu’elle a été stagnante pendant une longue période (p. ex. : le matin ou en revenant de travailler);
  • Nettoyer régulièrement l’aérateur du robinet;

À noter qu’il est inutile de faire bouillir l’eau, car le plomb n’est pas éliminé par l’ébullition.

Consultez la page d’information du Gouvernement du Canada qui permet de vous aider à vérifier si les murs de votre maison sont peint avec de la peinture contenant du plomb et vous présente comment diminuer votre risque de contamination si vous devez la retirer.

Références bibliographiques

Références bibliographiques

  1. Bordeleau, S. (2019, 23 octobre). La Ville de Montréal obligera les propriétaires à changer leur entrée d’eau en plomb. Ici Grand Montréal. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1358311/plomb-eau-montreal-oblige-proprietaires-changer-entree-eau
  2. Direction régionale de santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. (2017). Plomb dans l’eau potable de l’île de Montréal – Concentrations de plomb dans l’eau potable des écoles et évaluation des risques à la santé des enfants de 5-6 ans – 2017. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. ISBN 978-2-550-79468-4.
  3. Touzin, C. (2019, 8 octobre). Écoles québécoises : trop de plomb dans l’eau. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/enquetes/2019-10-08/ecoles-quebecoises-trop-de-plomb-dans-l-eau
  4. Santé Canada. (2013, février). Rapport final sur l’état des connaissances scientifiques concernant les effets du plomb sur la santé humaine (publication 120153). http://www.hc-sc.gc.ca/ewh-semt/pubs/contaminants/dhhssrl-rpecscepsh/index-fra.php
  5. Lanphear, B. P., Hornung, R., Khoury, J., Yolton, K., Baghurst, P., Bellinger, D. C., Canfield, R. L., Dietrich, K. N., Bornschein, R., Greene, T., Rothenberg, S. J., Needleman, H. L., Schnaas, L., Wasserman, G., Graziano, J., & Roberts, R. (2005). Low-level environmental lead exposure and children’s intellectual function: an international pooled analysis. Environmental health perspectives, 113(7), 894–899. https://doi.org/10.1289/ehp.7688
  6. Ris, M. D., Dietrich, K. N., Succop, P. A., Berger, O. G., & Bornschein, R. L. (2004). Early exposure to lead and neuropsychological outcome in adolescence. Journal of the International Neuropsychological Society, 10(2), 261–270. https://doi.org/10.1017/S1355617704102154
  7. Reuben, A., Caspi, A., Belsky, D. W., Broadbent, J., Harrington, H., Sugden, K., Houts, R. M., Ramrakha, S., Poulton, R., & Moffitt, T. E. (2017). Association of Childhood Blood Lead Levels With Cognitive Function and Socioeconomic Status at Age 38 Years and With IQ Change and Socioeconomic Mobility Between Childhood and Adulthood. JAMA, 317(12), 1244–1251. https://doi.org/10.1001/jama.2017.1712
  8. Braun, J. M., Kahn, R. S., Froehlich, T., Auinger, P., & Lanphear, B. P. (2006). Exposures to environmental toxicants and attention deficit hyperactivity disorder in U.S. children. Environmental health perspectives, 114(12), 1904–1909. https://doi.org/10.1289/ehp.9478
  9. Program, N.T., NTP Monograph on Health Effects of Low-Level Lead, U.S.D.o.H.a.H. Services, Editor. 2012.
  10. Needleman, H. L., Riess, J. A., Tobin, M. J., Biesecker, G. E., & Greenhouse, J. B. (1996). Bone lead levels and delinquent behavior. JAMA, 275(5), 363–369.
  11. Dietrich, K. N., Ris, M. D., Succop, P. A., Berger, O. G., & Bornschein, R. L. (2001). Early exposure to lead and juvenile delinquency. Neurotoxicology and teratology, 23(6), 511–518. https://doi.org/10.1016/s0892-0362(01)00184-2

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