Arsenic entre tête et mer

La consommation d’eau ou d’aliments contaminés à l’arsenic peut engendrer des effets nocifs sur la santé. Les scientifiques ont notamment constaté que l’arsenic est neurotoxique, c’est-à-dire qu’il a des impacts nuisibles sur le cerveau en s’attaquant aux neurones et à leur système de communication. D’ailleurs, des maladies neurologiques comme l’Alzheimer et le Parkinson ainsi que des problèmes cognitifs ont été associés à l’arsenic.

Par Marilou Lemire,
01/2022

L’arsenic a partagé la manchette avec l’Abitibi en 2019 alors qu’un rapport a dévoilé qu’on retrouvait quatre fois plus d’arsenic dans les ongles des citoyens et citoyennes du quartier Notre-Dame de Rouyn-Noranda (Québec, Canada) que dans les ongles de leurs voisins de la Ville d’Amos [2]. Dans la même année, un second rapport a soulevé un lien entre le taux d’exposition à l’arsenic des résidents du quartier Notre-Dame et la proximité de leur domicile par rapport à la fonderie Horne.

Cette industrie de modelage de métaux relargue 67 fois plus d’arsenic que le taux de relâchement normalement autorisé [4]. Ailleurs dans le monde, l’arsenic retient aussi l’attention puisqu’ « un milliard d’humains sont exposés à l’arsenic par leur nourriture et plus de 200 millions l’ingèrent par l’eau contaminée à des concentrations plus grandes que celle recommandée par les standards internationaux [3]».

D’où vient-il?

L’arsenic est un élément naturel que l’on retrouve dans la croute terrestre. Les mouvements de l’eau usent et effritent les roches qui libèrent des particules de ce métalloïde. Ce phénomène, qu’on appelle l’érosion, est à l’origine d’un des plus gros enjeux reliés à ce contaminant, soit sa préoccupante présence dans l’eau potable.

Au Canada, les concentrations moyennes d’arsenic dans l’eau potable sont d’environ 5 microgrammes/L, ce qui représente environ 9 grains de sel dans un bain moyen. Cette concentration est sous la norme de 10 microgrammes/L dictée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Cependant, certains pays comme le Bangladesh, la Chine, l’Inde et le Mexique retrouvent des taux alarmants d’arsenic dans leur eau pouvant atteindre les 50 microgrammes/L [7]. Qui plus est, ce sont les eaux qui contaminent les aliments comme le riz, le blé, les poissons, les coquillages ou même certains fruits comme les pommes. Ces aliments qui poussent ou sont en contact avec l’eau contaminée sont eux aussi soumis à des normes concernant leur teneur en arsenic afin de contrôler l’ingestion d’arsenic par la population.

Outre sa présence dans l’eau, l’arsenic se retrouve dans l’air, notamment à cause des émissions industrielles [8]. Des mesures législatives sont souvent mises en place par les villes et pays afin de contrôler l’émission d’arsenic dans l’air et protéger la population, comme c’est le cas à Rouyn-Noranda. La fonderie Horne était toutefois autorisée à dépasser la norme légale puisque cette limite a été établie en 2011 et que la fonderie était déjà en activité depuis 1927 [5]. Ceci n’empêche pas le gouvernement d’intervenir afin d’exiger des changements pour réduire les émissions d’arsenic dans l’air.

À ce propos, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec a commandé à la fonderie d’établir un plan d’action pour réduire ses émissions d’arsenic.

Des neurones pris d’assaut

Plusieurs scientifiques soutiennent qu’une exposition à l’arsenic peut entrainer une dégénération des neurones, les cellules du cerveau. En effet, l’arsenic a des propriétés oxydatives, c’est-à-dire que son contact avec les neurones entraine des changements cellulaires qui les abiment, comme une pomme noircit au contact de l’air.

L’arsenic peut, par exemple, endommager la membrane de la cellule ou effriter la myéline, soit l’isolant qui recouvre les branches du neurone et qui permet à la communication neuronale d’être rapide et efficace [9]. Ces altérations nuisent au bon fonctionnement du neurone et peuvent même le détruire. De plus, contrairement aux autres cellules du corps, les neurones ne se régénèrent habituellement pas. En d’autres mots, les cellules de notre cerveau qui meurent ne peuvent être remplacées.

Par ailleurs, l’arsenic serait en mesure de s’accumuler dans certaines régions du cerveau et perturberait particulièrement les systèmes d’acétylcholine et de dopamine [9]. Ces deux molécules sont des neurotransmetteurs, c’est-à-dire des substances chimiques qui permettent aux neurones de communiquer entre eux et d’agir pour le bon fonctionnement de l’organisme.

L’acétylcholine est surtout associée aux régions impliquées dans la mémoire alors que la dopamine est surtout associée au contrôle du mouvement et au système interne de récompense, c’est-à-dire le système récompensant les comportements favorisant le bien-être de l’organisme, comme celui de boire de l’eau lorsqu’on est assoiffé. Il s’avère que l’arsenic, qui perturbe ces deux systèmes de neurotransmetteurs, aurait ainsi des effets négatifs sur la mémoire, l’apprentissage et les fonctions motrices [11]. D’ailleurs, le Parkinson et l’Alzheimer, deux maladies causées par la mort de neurones et touchant respectivement la mémoire et les troubles moteurs, ont été associés, entre autres, à l’arsenic [11] . Une hypothèse suggère que l’arsenic aurait un impact sur le développement des protéines tau et amyloïde, deux protéines dont leur perturbation est aussi à l’origine de la maladie d’Alzheimer [10].

Les chercheur.e.s ont également soulevé l’influence de l’arsenic sur des problèmes de maladies mentales comme la dépression et l’anxiété [11]. Pour expliquer ces liens, les scientifiques émettent l’hypothèse que l’arsenic aurait la capacité de perturber l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénale (HHS) impliquée dans les réponses au stress ainsi que la concentration de sérotonine, un neurotransmetteur intimement lié à la dépression [6].

Ce sont les enfants qui sont les plus vulnérables aux effets d’une exposition à l’arsenic. En effet, comme ils sont tout petits, qu’ils consomment beaucoup d’eau et que leur système digestif immature est plus absorbant, les enfants absorberaient davantage ce métal [8] . D’autant plus, comme leur cerveau est immature, une exposition à l’arsenic avant la naissance ou pendant l’enfance peut nuire au sain développement futur de leur cerveau.

Un lien entre l’arsenic et une baisse du quotient intellectuel (QI), des habiletés verbales ainsi que des problèmes de mémoire et d’attention a été rapporté [11].

De possibles solutions à la neurotoxicité

Bien que l’intoxication à l’arsenic soit toujours un enjeu actuellement, diverses recherches mettent en lumière des substances pouvant contrer ou diminuer certains de ses effets néfastes sur la santé. Ces substances, comme la curcumine et le sélénium, ont des propriétés antioxydantes qui empêchent la détérioration des cellules causée par l’arsenic, comme le citron empêche la pomme de noircir [1] [12].

Outre la recherche sur ces types de substances protectrices, des mesures sont prises afin de minimiser l’exposition de la population. Par exemple, le gouvernement réglemente les émissions d’arsenic dans l’air par les industries. Il contrôle aussi la concentration d’arsenic contenue dans l’eau potable ainsi que dans la nourriture. Bien que l’arsenic se retrouve dans beaucoup de nos aliments, Santé Canada soutient qu’il n’y pas lieu de s’inquiéter et recommande de suivre le guide alimentaire canadien.

Références bibliographiques

Références bibliographiques

  1. Adedara, I. A., Fabunmi, A. T., Ayenitaju, F. C., Atanda, O. E., Adebowale, A. A., Ajayi, B. O., Owoeye, O., Rocha, J. B. T., & Farombi, E. O. (2020). Neuroprotective mechanisms of selenium against arsenic-induced behavioral impairments in rats. NeuroToxicology, 76, 99‑https://doi.org/10.1016/j.neuro.2019.10.009
  2. Études de biosurveillance sur l’imprégnation à l’arsenic de la population du quartier Notre-Dame de Rouyn-Noranda. (2019). https://www.cisss-at.gouv.qc.ca/biosurveillance/
  3. George, C. M., Sima, L., Arias, M. H. J., Mihalic, J., Cabrera, L. Z., Danz, D., Checkley, W., & Gilman, R. H. (2014). Arsenic exposure in drinking water : An unrecognized health threat in Peru. 8.
  4. Radio-Canada.ca, Z. E.-. (2019). Québec permet à la Fonderie Horne d’émettre 67 fois plus d’arsenic dans l’air que la norme provinciale | Arsenic Rouyn-Noranda. Radio-Canada.ca; Radio-Canada.ca. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1169574/fonderie-horne-formation-emission-arsenic-air-norme-provinciale
  5. Léveillé, J.-T. (2021, mars 26). Contamination à l’arsenic à Rouyn-Noranda : Québec approuve les propositions de la fonderie Horne. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2021-03-26/contamination-a-l-arsenic-a-rouyn-noranda/quebec-approuve-les-propositions-de-la-fonderie-horne.php
  6. Martinez, E. J., Kolb, B. L., Bell, A., Savage, D. D., & Allan, A. M. (2008). Moderate perinatal arsenic exposure alters neuroendocrine markers associated with depression and increases depressive-like behaviors in adult mouse offspring.NeuroToxicology, 29(4), 647‑https://doi.org/10.1016/j.neuro.2008.05.004
  7. Organisation mondiale de la Santé. (2018). Arsenic. https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/arsenic
  8. Organisation mondiale de la Santé. (2021). Arsenic. INSPQ. https://www.inspq.qc.ca/eau-potable/arsenic
  9. Prakash, C., Soni, M., & Kumar, V. (2016). Mitochondrial oxidative stress and dysfunction in arsenic neurotoxicity : A review. Journal of Applied Toxicology, 36(2), 179‑https://doi.org/10.1002/jat.3256
  10. Rahman, M. A., Hannan, M. A., Uddin, M. J., Rahman, M. S., Rashid, M. M., & Kim, B. (2021). Exposure to Environmental Arsenic and Emerging Risk of Alzheimer’s Disease : Perspective Mechanisms, Management Strategy, and Future Directions. Toxics, 9(8), 188. https://doi.org/10.3390/toxics9080188
  11. Tyler, C. R., & Allan, A. M. (2014). The Effects of Arsenic Exposure on Neurological and Cognitive Dysfunction in Human and Rodent Studies : A Review. 16.
  12. Yadav, R. S., Shukla, R. K., Sankhwar, M. L., Patel, D. K., Ansari, R. W., Pant, A. B., Islam, F., & Khanna, V. K. (2010). Neuroprotective effect of curcumin in arsenic-induced neurotoxicity in rats. NeuroToxicology, 31(5), 533‑https://doi.org/10.1016/j.neuro.2010.05.001

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