Produits chimiques éternels pendant la grossesse – des effets sur le comportement des enfants ?

Les substances per- et poly-fluoroalkylées, communément dénommés « PFAS », forment une famille chimique de plus de 4000 composés chimiques synthétiques. Les PFAS persistent très longtemps dans l’environnement (plusieurs dizaines d’années pour certains composés) ; c’est la raison pour laquelle ils ont d’ailleurs été taxés de polluants « éternels » (Forever chemicals, en anglais). Leurs propriétés chimiques sont très prisées par l’industrie, d’où la présence de PFAS dans de nombreux produits d’usages quotidiens – produits de protections pour emballages en papier et carton, tapis, cuirs, textiles, emballages alimentaires, ustensiles de cuisines, poêles antiadhésives (p. ex. le téflon) et mousses anti-incendie. Mais est-ce que les PFAS affectent le fonctionnement du cerveau ?

Par Hélène Tillaut,
03/2023

Toute la population est exposée et même les femmes enceintes

Les PFAS sont omniprésents dans l’environnement aux quatre coins du monde. Une exposition généralisée de la population a été mise en évidence par plusieurs études qui ont mesuré, par des dosages sanguins, la présence de PFAS chez de nombreux individus sur tous les continents [1]. Certains PFAS comme le PFOA et le PFOS , deux composés parmi les plus anciens et les plus étudiés, ont été détectés chez pratiquement 100% des individus. Certaines équipes de recherche se sont intéressées spécifiquement à l’exposition des femmes enceintes, là encore loin d’être négligeable [2]. Certains PFAS ont été détectés dans le lait maternel ainsi que dans le sang de cordon mettant en évidence un passage de la barrière placentaire et par là-même une exposition prénatale [3].

Bien que l’alimentation soit généralement la principale source d’exposition, en particulier le poisson, les produits de la mer et les aliments contaminés par les emballages alimentaires traités aux PFAS, les poussières dans les maisons et même l’eau potable sont aussi des sources de PFAS.

Des efforts de la communauté internationale pour limiter les expositions

Les informations scientifiques concernant la toxicité du PFOA et du PFOS sont abondantes et des mesures destinées à réduire l’exposition des populations ont été mises en œuvre. En 2009, le PFOS et ses sels ainsi que le PFOSF ont été ajoutés à la liste des polluants organiques persistants (POP) à restreindre, cités dans la convention de Stockholm, un accord international entré en vigueur en 2004 sous l’égide des Nations Unies. L’objectif de cette convention est de protéger la santé des populations et l’environnement en éliminant (ou en réduisant) certaines substances chimiques. En 2019, le PFOA et ses sels ont rejoint la liste des composés à éliminer. D’autres PFAS sont actuellement à l’étude pour être également ajoutés à ces listes.

Le cerveau : un organe particulièrement vulnérable

Le cerveau est un organe riche en lipides et très fortement vascularisé. Il est ainsi très vulnérable aux impacts d’une exposition à des toxiques ayant des affinités pour les lipides comme les PFAS, qui sont en mesure de traverser la barrière hémato-encéphalique [4]. Des études expérimentales ont montré que les PFAS sont également capables de s’accumuler dans le cerveau ; l’hypothalamus étant l’une des régions avec la plus forte accumulation de PFAS [4].

Dans quelques études utilisant des modèles animaux, l’exposition à certains PFAS (notamment ceux contenant les plus longues chaines carbonées) a provoqué des impacts délétères sur les fonctions cognitives et le comportement tels que l’apprentissage spatial, l’attention et la mémoire. Ces résultats n’ont cependant pas été reproduits dans d’autres études. D’autres travaux ont suggéré des effets possibles sur le comportement de type anxiété, l’activité motrice et la coordination [4].

Les mécanismes d’action neurotoxique des PFAS sont nombreux. Ils incluent des modifications de l’homéostasie calcique, de l’activité de la protéine kinase C, de la plasticité synaptique, de la différenciation cellulaire et des atteintes de la fonction de la glande thyroïde [5].

Développement psychologique de l’enfant perturbé mais études insuffisantes

Compte-tenu des propriétés des PFAS et du fait que ces composés ont été retrouvés dans le lait maternel et le sang de cordon, les scientifiques se sont intéressés aux effets de l’exposition pendant la période périnatale incluant la grossesse et les premiers mois de vie. Des études épidémiologiques menées en population générale ont examiné les liens entre une exposition prénatale aux PFAS et le développement de l’enfant, et notamment son comportement. Une revue des travaux disponibles, publiée en 2018, a rapporté que les résultats des différentes études chez les enfants d’âge scolaire, soit entre 5 et 12 ans, n’étaient pas concluants [6]. Les études analysées étaient majoritairement des études de cohorte et portaient sur les troubles du déficit de l’attention et l’hyperactivité (TDAH), les troubles externalisés (incluant le trouble de conduites et le trouble oppositionnel avec provocation) ou les symptômes du spectre de l’autisme. Depuis la publication de cette revue, de nouvelles études sur le lien entre exposition prénatale et comportement de l’enfant ont été conduites : certaines ont à nouveau mis en évidence des effets délétères des PFAS, mais le niveau de preuve demeure encore insuffisant.

Bien que beaucoup d’études se soient penchées sur les troubles externalisés (comme le TDAH), les effets d’une exposition prénatale sur la présence de troubles internalisés chez l’enfant ont reçu à ce jour peu d’attention. Les troubles internalisés du comportement regroupent les troubles émotionnels, les troubles dépressifs, de l’anxiété généralisée et les phobies spécifiques. Des études ont suggéré que les troubles internalisés et externalisés du comportement pouvaient impliquer des structures et circuits cérébraux communs [7]. Très peu d’études se sont intéressées à l’association entre exposition prénatale aux PFAS et troubles internalisés du comportement. Les résultats sont hétérogènes là encore. De plus, parce que les études animales suggèrent un rôle possible de PFAS dans la survenue de troubles internalisés, ce domaine d’étude doit encore être approfondi.

Vigilance, vigilance – de nouveaux PFAS prennent le relais

Le niveau d’exposition au PFOA et au PFOS a largement diminué depuis quelques années du fait de leur inscription sur la liste de la convention de Stockholm. L’inclusion d’autres PFAS sur cette liste est en cours et tout porte à croire que d’autres composés rejoindront la liste des composés à éliminer prochainement. Ces restrictions d’usage ont favorisé l’émergence des PFAS à chaine courte et de PFAS de nouvelle génération : par exemple, l’acide d’oxyde d’hexafluoropropylène-dimère (HFPO-DA) plus communément connu sous le nom commercial GenX et le C604 (un ether monocyclique perfluoré) en remplacement du PFOA et le PFBS (acide perfluorobutane sulfonique et ses sels de potassium) en remplacement du PFOS. Ces composés sont utilisés dans de nombreux produits d’usage courant (emballages alimentaires dont ceux à usage unique), ustensiles de cuisine antiadhésifs, mousses ignifugées, tapis, sièges de voiture, vêtements imperméables…) et le niveau d’exposition à ces nouveaux composés augmente [8]. Les effets de ces PFAS sur l’écosystème et la santé humaine ont été encore très peu étudiés. La vigilance doit rester de mise et les chercheur.e.s ont encore du pain sur la planche. La protection du cerveau de nos enfants est en jeu !

  • Évitez d’acheter des objets dont les composés ou d’ingrédients de fabrication commencent par « fluoro » ou « perfluoro »
  • Limiter la consommation d’aliments emballés dans des contenants à usage unique (p. ex., sacs de popcorn, emballages de restauration rapide, etc.)
  • Privilégiez les ustensiles de cuisine et les poêles sans propriétés antiadhésives (p. ex., des poêles en céramique plutôt qu’en téflon)
  • Éviter l’achat de produits (meubles, tapis, vêtements, etc.) ayant des propriétés imperméabilisantes ou antitaches
  • Réduire la poussière dans votre habitation. Par exemple, changez vos filtres (aspirateurs, système de chauffage, etc.) régulièrement pour limiter les particules dans l’air.
  • Éviter les produits de soins personnels contenant des composés perfluorés. Ceci inclut certains types de soies dentaires, de crèmes hydratantes et de produits cosmétiques;
  • Vous pouvez consulter le site PFASCentral.org (en anglais seulement), qui présente une liste de fabricants et de distributeurs qui ont pris des engagements afin de retirer les composés perfluorés de leurs produits.

EN RÉSUMÉ

Comme d’autres polluants, nous sommes tous et toutes exposés aux PFAS dans notre quotidien à des degrés divers.  Des incertitudes persistent actuellement quant aux effets réels ou potentiels de ces polluants sur notre santé et celle de nos enfants. Malgré les données qui pointent vers des problèmes de comportements chez les enfants en lien avec les PFAS, elles ne sont pas suffisantes pour se prononcer avec certitude sur le risque d’apparition de ces troubles en lien avec une exposition pendant la grossesse.

Références bibliographiques

[1] Fromme, H., Tittlemier, S. A., Völkel, W., Wilhelm, M. & Twardella, D. Perfluorinated compounds – Exposure assessment for the general population in western countries. Int. J. Hyg. Environ. Health 212, 239–270 (2009).

[2] Bjerregaard-Olesen, C. et al. Maternal serum concentrations of perfluoroalkyl acids in five international birth cohorts. Int. J. Hyg. Environ. Health 220, 86–93 (2017).

[3] Cariou, R. et al. Perfluoroalkyl acid (PFAA) levels and profiles in breast milk, maternal and cord serum of French women and their newborns. Environ. Int. 84, 71–81 (2015).

[4] Starnes, H. M., Rock, K. D., Jackson, T. W. & Belcher, S. M. A Critical Review and Meta-Analysis of Impacts of Per- and Polyfluorinated Substances on the Brain and Behavior. Frontiers in Toxicology 4, (2022).

[5] Lau, C., Butenhoff, J. L. & Rogers, J. M. The developmental toxicity of perfluoroalkyl acids and their derivatives. Toxicol. Appl. Pharmacol. 198, 231–241 (2004).

[6] Liew, Z., Goudarzi, H. & Oulhote, Y. Developmental Exposures to Perfluoroalkyl Substances (PFASs): An Update of Associated Health Outcomes. Curr. Environ. Health Rep. 5, 1–19 (2018).

[7] Andre, Q. R., Geeraert, B. L. & Lebel, C. Brain structure and internalizing and externalizing behavior in typically developing children and adolescents. Brain Struct. Funct. 225, 1369–1378 (2020).

[8] Göckener, B., Weber, T., Rüdel, H., Bücking, M. & Kolossa-Gehring, M. Human biomonitoring of per- and polyfluoroalkyl substances in German blood plasma samples from 1982 to 2019. Environ. Int. 145, 106123 (2020).