Produits chimiques éternels pendant la grossesse – des effets sur le comportement des enfants ?
Les substances per- et poly-fluoroalkylées, communément dénommés « PFAS », forment une famille chimique de plus de 4000 composés chimiques synthétiques. Les PFAS persistent très longtemps dans l’environnement (plusieurs dizaines d’années pour certains composés) ; c’est la raison pour laquelle ils ont d’ailleurs été taxés de polluants « éternels » (Forever chemicals, en anglais). Leurs propriétés chimiques sont très prisées par l’industrie, d’où la présence de PFAS dans de nombreux produits d’usages quotidiens – produits de protections pour emballages en papier et carton, tapis, cuirs, textiles, emballages alimentaires, ustensiles de cuisines, poêles antiadhésives (p. ex. le téflon) et mousses anti-incendie. Mais est-ce que les PFAS affectent le fonctionnement du cerveau ?
Toute la population est exposée et même les femmes enceintes
Les PFAS sont omniprésents dans l’environnement aux quatre coins du monde. Une exposition généralisée de la population a été mise en évidence par plusieurs études qui ont mesuré, par des dosages sanguins, la présence de PFAS chez de nombreux individus sur tous les continents [1]. Certains PFAS comme le PFOAPFOA est l'acronyme pour "acide perfluorooctanoïque", une substance chimique dans la famille des composés perfluorés (PFAS). Ces substances très résistantes sont utilisées dans plusieurs produits du quotidien comme les recouvrements antiadhésifs, les emballages alimentaires et les cosmétiques. Pour en savoir plus sur les PFAS. et le PFOSPFOS est l'acronyme pour "sulfonate de perfluorooctane", une substance chimique dans la famille des composés perfluorés (PFAS). Ces substances très résistantes sont utilisées dans plusieurs produits du quotidien comme les recouvrements antiadhésifs, les emballages alimentaires et les cosmétiques. Pour en savoir plus sur les PFAS. , deux composés parmi les plus anciens et les plus étudiés, ont été détectés chez pratiquement 100% des individus. Certaines équipes de recherche se sont intéressées spécifiquement à l’exposition des femmes enceintes, là encore loin d’être négligeable [2]. Certains PFAS ont été détectés dans le lait maternel ainsi que dans le sang de cordon mettant en évidence un passage de la barrière placentaire et par là-même une exposition prénatale [3].
Bien que l’alimentation soit généralement la principale source d’exposition, en particulier le poisson, les produits de la mer et les aliments contaminés par les emballages alimentaires traités aux PFAS, les poussières dans les maisons et même l’eau potable sont aussi des sources de PFAS.
Des efforts de la communauté internationale pour limiter les expositions
Les informations scientifiques concernant la toxicité du PFOA et du PFOS sont abondantes et des mesures destinées à réduire l’exposition des populations ont été mises en œuvre. En 2009, le PFOS et ses sels ainsi que le PFOSF ont été ajoutés à la liste des polluants organiques persistants (POPComposé chimique qui contient des liens entre des atomes de carbone et d'hydrogène. Ces composés sont persistants lorsque leur dégradation nécessite plusieurs années ou décennies.) à restreindre, cités dans la convention de Stockholm, un accord international entré en vigueur en 2004 sous l’égide des Nations Unies. L’objectif de cette convention est de protéger la santé des populations et l’environnement en éliminant (ou en réduisant) certaines substances chimiques. En 2019, le PFOA et ses sels ont rejoint la liste des composés à éliminer. D’autres PFAS sont actuellement à l’étude pour être également ajoutés à ces listes.
Le cerveau : un organe particulièrement vulnérable
Le cerveau est un organe riche en lipides et très fortement vascularisé. Il est ainsi très vulnérable aux impacts d’une exposition à des toxiques ayant des affinités pour les lipides comme les PFAS, qui sont en mesure de traverser la barrière hémato-encéphaliqueCouche de cellules qui recouvrent le cerveau et qui permettent l'échange de nutriments avec les vaisseaux sanguins. Elle permet notamment de bloquer certains virus, bactéries ou agents nocifs d'entrer dans le cerveau. Elle laisse tout de même passer certaines substances comme les métaux lourds. [4]. Des études expérimentalesModèle de recherche qui implique un échantillon aléatoire et contrôlé et qui vise à trier les participants en différents groupes dont un groupe témoin (sans intervention). Les groupes sont alors suivis dans le but d’évaluer si une intervention (p. ex., un traitement) influe sur le cours ou l’issue d’un état ou d’une maladie. Les études expérimentales représentent le choix privilégié pour aspirer à un niveau de preuve élevé, car le risque de biais est minimisé. ont montré que les PFAS sont également capables de s’accumuler dans le cerveau ; l’hypothalamusL'hypothalamus est une structure du cerveau responsable en grande partie de maintenir l'équilibre interne du corps, autrement dit l'homéostasie. À titre d'exemple, l'hypothalamus joue un rôle dans le sentiment de faim ou de soif et même dans la régulation de la température corporelle. Cliquez ici pour plus d'informations sur cette structure du cerveau. étant l’une des régions avec la plus forte accumulation de PFAS [4].
Dans quelques études utilisant des modèles animaux, l’exposition à certains PFAS (notamment ceux contenant les plus longues chaines carbonées) a provoqué des impacts délétères sur les fonctions cognitives et le comportement tels que l’apprentissage spatial, l’attention et la mémoire. Ces résultats n’ont cependant pas été reproduits dans d’autres études. D’autres travaux ont suggéré des effets possibles sur le comportement de type anxiété, l’activité motrice et la coordination [4].
Les mécanismes d’action neurotoxique des PFAS sont nombreux. Ils incluent des modifications de l’homéostasie calciqueIl s'agit de la régulation des concentrations de calcium dans l'organisme par des mécanismes à l'intérieur du corps. , de l’activité de la protéine kinase C, de la plasticité synaptiqueLa plasticité synaptique réfère à la capacité des neurones à défaire et refaire de nouvelles connexions au fil du temps. Cette capacité est à la base de l'apprentissage et de la mémoire., de la différenciation cellulaire et des atteintes de la fonction de la glande thyroïde [5].
Développement psychologique de l’enfant perturbé mais études insuffisantes
Compte-tenu des propriétés des PFAS et du fait que ces composés ont été retrouvés dans le lait maternel et le sang de cordon, les scientifiques se sont intéressés aux effets de l’exposition pendant la période périnatale incluant la grossesse et les premiers mois de vie. Des études épidémiologiques menées en population générale ont examiné les liens entre une exposition prénatale aux PFAS et le développement de l’enfant, et notamment son comportement. Une revue des travaux disponibles, publiée en 2018, a rapporté que les résultats des différentes études chez les enfants d’âge scolaire, soit entre 5 et 12 ans, n’étaient pas concluants [6]. Les études analysées étaient majoritairement des études de cohorte et portaient sur les troubles du déficit de l’attention et l’hyperactivité (TDAH), les troubles externalisés (incluant le trouble de conduitesLe trouble de conduite est un trouble psychiatrique où la personne porte des comportements répétitifs irrespectueux envers les autres, enfreignant leurs droits ou la norme sociale. Les personnes avec un trouble de conduites agressent physiquement ou verbalement les autres et vont jusqu'à parfois commettre des comportements criminels comme le vol ou le vandalisme. et le trouble oppositionnel avec provocationLe trouble oppositionnel avec provocation est un trouble de santé mentale caractérisée par une opposition répétitive et marquée aux figures d'autorité par des comportements hostiles.) ou les symptômes du spectre de l’autismeLe TSA est un trouble neurodéveloppemental entrainant des difficultés d'intensité variable sur les habiletés de communication et d'interactions sociales d'une personne. Le TSA est aussi associé à la présence de comportements répétitifs et/ou d'intérêts spécifiques.. Depuis la publication de cette revue, de nouvelles études sur le lien entre exposition prénatale et comportement de l’enfant ont été conduites : certaines ont à nouveau mis en évidence des effets délétères des PFAS, mais le niveau de preuve demeure encore insuffisant.
Bien que beaucoup d’études se soient penchées sur les troubles externalisés (comme le TDAH), les effets d’une exposition prénatale sur la présence de troubles internalisés chez l’enfant ont reçu à ce jour peu d’attention. Les troubles internalisés du comportement regroupent les troubles émotionnels, les troubles dépressifs, de l’anxiété généralisée et les phobies spécifiques. Des études ont suggéré que les troubles internalisés et externalisés du comportement pouvaient impliquer des structures et circuits cérébraux communs [7]. Très peu d’études se sont intéressées à l’association entre exposition prénatale aux PFAS et troubles internalisés du comportement. Les résultats sont hétérogènes là encore. De plus, parce que les études animales suggèrent un rôle possible de PFAS dans la survenue de troubles internalisés, ce domaine d’étude doit encore être approfondi.
Vigilance, vigilance – de nouveaux PFAS prennent le relais
Le niveau d’exposition au PFOA et au PFOS a largement diminué depuis quelques années du fait de leur inscription sur la liste de la convention de Stockholm. L’inclusion d’autres PFAS sur cette liste est en cours et tout porte à croire que d’autres composés rejoindront la liste des composés à éliminer prochainement. Ces restrictions d’usage ont favorisé l’émergence des PFAS à chaine courte et de PFAS de nouvelle génération : par exemple, l’acide d’oxyde d’hexafluoropropylène-dimère (HFPO-DA) plus communément connu sous le nom commercial GenX et le C604 (un ether monocyclique perfluoré) en remplacement du PFOA et le PFBS (acide perfluorobutane sulfonique et ses sels de potassium) en remplacement du PFOS. Ces composés sont utilisés dans de nombreux produits d’usage courant (emballages alimentaires dont ceux à usage unique), ustensiles de cuisine antiadhésifs, mousses ignifugées, tapis, sièges de voiture, vêtements imperméables…) et le niveau d’exposition à ces nouveaux composés augmente [8]. Les effets de ces PFAS sur l’écosystème et la santé humaine ont été encore très peu étudiés. La vigilance doit rester de mise et les chercheur.e.s ont encore du pain sur la planche. La protection du cerveau de nos enfants est en jeu !
- Évitez d’acheter des objets dont les composés ou d’ingrédients de fabrication commencent par « fluoro » ou « perfluoro »
- Limiter la consommation d’aliments emballés dans des contenants à usage unique (p. ex., sacs de popcorn, emballages de restauration rapide, etc.)
- Privilégiez les ustensiles de cuisine et les poêles sans propriétés antiadhésives (p. ex., des poêles en céramique plutôt qu’en téflon)
- Éviter l’achat de produits (meubles, tapis, vêtements, etc.) ayant des propriétés imperméabilisantes ou antitaches
- Réduire la poussière dans votre habitation. Par exemple, changez vos filtres (aspirateurs, système de chauffage, etc.) régulièrement pour limiter les particules dans l’air.
- Éviter les produits de soins personnels contenant des composés perfluorés. Ceci inclut certains types de soies dentaires, de crèmes hydratantes et de produits cosmétiques;
- Vous pouvez consulter le site PFASCentral.org (en anglais seulement), qui présente une liste de fabricants et de distributeurs qui ont pris des engagements afin de retirer les composés perfluorés de leurs produits.
[1] Fromme, H., Tittlemier, S. A., Völkel, W., Wilhelm, M. & Twardella, D. Perfluorinated compounds – Exposure assessment for the general population in western countries. Int. J. Hyg. Environ. Health 212, 239–270 (2009).
[2] Bjerregaard-Olesen, C. et al. Maternal serum concentrations of perfluoroalkyl acids in five international birth cohorts. Int. J. Hyg. Environ. Health 220, 86–93 (2017).
[3] Cariou, R. et al. Perfluoroalkyl acid (PFAA) levels and profiles in breast milk, maternal and cord serum of French women and their newborns. Environ. Int. 84, 71–81 (2015).
[4] Starnes, H. M., Rock, K. D., Jackson, T. W. & Belcher, S. M. A Critical Review and Meta-Analysis of Impacts of Per- and Polyfluorinated Substances on the Brain and Behavior. Frontiers in Toxicology 4, (2022).
[5] Lau, C., Butenhoff, J. L. & Rogers, J. M. The developmental toxicity of perfluoroalkyl acids and their derivatives. Toxicol. Appl. Pharmacol. 198, 231–241 (2004).
[6] Liew, Z., Goudarzi, H. & Oulhote, Y. Developmental Exposures to Perfluoroalkyl Substances (PFASs): An Update of Associated Health Outcomes. Curr. Environ. Health Rep. 5, 1–19 (2018).
[7] Andre, Q. R., Geeraert, B. L. & Lebel, C. Brain structure and internalizing and externalizing behavior in typically developing children and adolescents. Brain Struct. Funct. 225, 1369–1378 (2020).
[8] Göckener, B., Weber, T., Rüdel, H., Bücking, M. & Kolossa-Gehring, M. Human biomonitoring of per- and polyfluoroalkyl substances in German blood plasma samples from 1982 to 2019. Environ. Int. 145, 106123 (2020).